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Le livre de Mboa : La reine de la fête

L’encens brûlait depuis une heure, un mélange rare de racines et de fleurs blanches rapporté des contreforts d’Alta. Il masquait l’odeur de poussière et de métal de la capitale, tissant une toile d’intimité dans le vaste bureau d’Amaryllis Sene. Ici, au cœur de son agence, elle régnait. Les murs, couverts d’affiches d’événements passés, racontaient en silence l’histoire de chaque fête, de chaque rassemblement qui avait fait vibrer Solaris.

Et son odorat développé de chimère Crocs lui permettait de naviguer à travers toutes ces odeurs pour identifier chaque note, chaque origine.

C’est pourquoi elle n’eut pas besoin de se retourner quand elle entra dans son bureau, pourtant fermé, où quelqu'un l'attendait.

« Manyan, si tu as cassé une serrure, je te facture l’artisan et le déplacement depuis Alta. Le triple, pour l’inconvénient. »

Sa voix était calme, traînant à peine sur les consonnes, un pur produit des salons feutrés de la haute société. Elle rangea son registre dans l'armoire avant de se tourner vers lui.

Doma Mbock était confortablement installé dans le fauteuil en cuir dans un coin de son bureau, ses longues jambes étaient croisées. Il souriait, cette espèce de sourire de requin qui faisait la une des journaux à potins et masquait son redoutable sens des affaires.

— Tu exagères, Lily. Je n'ai pas besoin de ça pour aller quelque part. Parlons plutôt de ton attitude. Est-ce que c'est comme ça qu'on accueille un associé ?

— Associé est un bien grand mot. Fournisseur de clients riches et étourdis, peut-être, rectifia-t-elle en s'asseyant dans son fauteuil. Son regard perçant le jaugeait des pieds à la tête. « Tu n’as même pas pris la peine de paraître saoul. C’est une première. »

Doma éclata de rire, un son clair qui résonna dans le bureau discret et... insonorisé. « Tu me connais trop bien. C’est pour ça que je viens te voir. J’ai besoin de tes talents. »

— Mes talents, ou mes clubs ?

— Les deux sont indissociables, ma chère. Tu es la Reine de la Fête. Qui d’autre pourrait organiser le lancement officiel de ma nouvelle société d’import-export ? Un événement… grandiose. Tous les gens importants, du Kampa* à flots, la musique la plus forte que tes enceintes puissent supporter.

Amaryllis ne cligna pas des yeux. Elle étudiait le jeu de Doma comme elle étudiait les plans d’un banquet. Elle avait appris à reconnaître l'intonation dans le choix de ses mots.

« La musique la plus forte ? » répéta-t-elle.

Doma soutint son regard, son sourire s’étirant imperceptiblement. « Il faut que ça résonne, non ? Que tout le monde entende que Doma Mbock est entré dans une nouvelle phase. Je devrai encore faire la une des journaux. »

Un silence s’installa. Amaryllis laissa ses doigts effleurer le bois précieux de son bureau. Il aimait ce petit jeu pour évaluer si ses partenaires pouvaient suivre son rythme. Et à son langage corporel elle avait compris que le bruit n’était pas une préférence, c’était une stratégie. Une couverture.

« Un événement bruyant, ça couvre beaucoup de choses », releva-t-elle finalement. « Les conversations privées, par exemple. »

Doma se contentait de sourire. Ses yeux pétillaient d’une intelligence que la République entière s’obstinait à ignorer pour ne voir que son masque du flambeur.

— Tu veux rencontrer des gens importants et qui veulent rester discrets ? demanda Amaryllis.

— Des partenaires étrangers veulent se rencontrer, je dois juste fournir un lieu. Ils seront dans l’un de tes salons privés, au cœur même de la tempête. Personne ne saura qu’ils sont là.

Elle hocha lentement la tête. Elle savait qu’il minimisait la portée de cette rencontre. Et ce n'était pas son problème.

— Inutile de te rappeler mes tarifs, Manyan.

— Facture ce que tu veux. Ajoute le prix de la serrure que je n’ai pas cassée. Il se leva, ajustant les plis parfaits de son costume. Un physique d’un lutteur dissimulé sous le tissu fin et les motifs colorés. « Alors, c’est d’accord ?»

Amaryllis se leva à son tour. Il était plus grand qu'elle malgré ses talons. Les chimères étaient grands de nature et la plupart des humains se sentaient stressés à leurs côtés. C'est pourquoi elle dissimulait ses attributs Crocs et réduisait sa taille. Doma Mbock était un des rares à n'avoir jamais été dérangé par sa véritable apparence.

« C’est d’accord, Doma. Mais utilise la porte la prochaine fois. J’aime bien savoir comment tu entres. »

Il porta une main à son cœur, feignant la blessure.

— Ta méfiance me transperce, Lily. Après toutes ces années ?

— Ce n’est pas de la méfiance. Ça me permet de calculer comment te faire sortir. Un sourire effleura enfin ses lèvres, aussi calculé que le sien.

Doma Mbock rit à nouveau et se dirigea vers la porte. Avant de sortir, il se retourna.

« Oh, et Lily ? Quelqu'un, plus exactement un Colmateur, devrait te contacter pour le suivi de l'évènement. Tu pourrais l'évaluer ; j'ai besoin de m'assurer de sa valeur pour de prochains contrats. »

Les Colmateursétaient des spécialistes de la communication et de la stratégie de vente. Les politiciens et toutes sortes de personnes avaient recours à leurs services. Officiellement ou non.

« Bien sûr, Manyan. Assure-toi, de ton côté, que ton paiement prenne en compte cet extra. »

La porte se referma sur son rire. Amaryllis Sene resta un moment immobile, le bruissement imperceptible sous sa lourde chevelure trahissant seule la tension qui l’avait traversée. Puis, elle retourna à son registre. Doma était du genre plaisantin, mais si cet évènement venait à échouer, elle verrait un aspect de sa personnalité que peu était capable de raconter à Solarisou ailleurs.

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