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Nouvelle : Un si beau rêve

La chaleur moite de la nuit de Douala enveloppait la petite voiture. L'air, saturé d'odeurs de déchets et de poussière, s'engouffrait par les fenêtres entrouvertes, portant avec lui les bruits de la ville.

Assise sur le siège passager, Adeline regardait Marc, son visage de profil, illuminé par les lumières fugaces des lampadaires. Il était l’incarnation même de l'espoir, la promesse d'une vie meilleure, de journées ensoleillées sous d'autres cieux. Ils parlaient de l'avenir, de ce voyage imminent, de la vie rêvée qu'ils allaient se construire loin de tout.

Adeline imaginait déjà cette vie de télénovelas. Les matins frais, les déjeuners au chaud dans le salon, les beaux vêtements. Elle n'était déjà plus Adeline la femme étouffée par la misère, par le poids de sa vie. Elle serait la femme libre, la "mbenguiste", l'amoureuse.

« On sera bien, tu verras,» murmura-t-elle, sa voix une vague de tendresse dans l'habitacle.

Marc, d'un geste nonchalant, attrapa sa main et la serra. Un sourire étira ses lèvres.

« — Tu t'y vois déjà.
— J'imagine notre vie. On aura notre famille, notre belle maison.
— Une famille ? Je pensais que tu n'voulais pas de gosses.
— Bien sûr que j'en veux, tant qu'ils sont de toi. »

Il se mit à rire, un fou rire qui fit tressauter tout son corps. Adeline fut un peu surprise, mais elle savait que Marc avait parfois des réactions brusques de ce genre. Depuis 3 mois qu'ils se fréquentaient, elle l'avait vu souvent exploser de rires sans raison. Mais jamais il ne se mettait en colère, c'est déjà ça.

Son rire se calma et Marc jeta un coup d'œil en biais à son amante. Il souriait, pourtant sa voix sonna comme un vent sec et glacial.

« Quand je pense que tu t'es débarrassée de ton enfant pour vivre la belle vie avec moi, » lâcha-t-il.

Adeline sentit son sang se glacer dans ses veines. Le monde autour d'elle se figea. Les bruits de la rue, les lumières de la ville, tout disparut. Son esprit travaillait à toute vitesse, essayant de comprendre ce qu'elle venait d'entendre. Elle n'avait jamais rien dit à Alex. Elle ne lui avait jamais avoué être mère célibataire.

Cet enfant n'était qu'un accident, une erreur de jeunesse, un fardeau qu'elle s'était résolue à porter. Mais moins d'un moins après leur rencontre, dans un groupe en ligne, elle était tombée sur le post d'une femme qui disait que sa tante désespérait d'avoir un enfant. Même s'il était déjà grand, elle voulait adopter mais la procédure était compliquée au Cameroun. Une femme riche, veuve et sans héritier.

Un signe ? Elle avait envoyé un message, juste comme ça, pour savoir. Et une réponse était venue. Les échanges avaient été brefs, mais les conditions l'intriguèrent. Plus question de tante, la femme voulait qu'on lui vende un enfant et les caractéristiques correspondaient complètement à son garçon. Le prix offert était plus que suffisant.

Assez pour partir avec Marc qui avait parlé d'un réseau sûr. Elle pensa brièvement au sort qui attendait son fils, mais cette pensée fut balayée. Seul l'avenir comptait. Alors comment, pourquoi en parlait-il ?

Marc ne prêtait pas attention à ses interrogations muettes. Il arrêta la voiture brusquement. Le bruit des pneus qui crissaient sur le goudron fut le seul son qui brisa le silence. Il déverrouilla les portes, mais ne bougea pas. Il ne la regardait plus, ses yeux fixés sur le rétroviseur. Adeline regarda au dehors ; il faisait nuit et le coin n'était pas rassurant.

Dans la lumière blafarde des néons, elle aperçut une silhouette qui s'approchait. Une femme, élancée et élégante, ouvrit la portière arrière et monta dans la voiture. Une fois la porte fermée, la femme lui sourit en lançant un « Bonsoir » joyeux. C'était Clara, la femme à qui elle avait vendu son fils deux semaines plus tôt.

Adeline n'eut pas le temps de réagir. De sa place à l'arrière, Clara, d'une fluidité désarmante, passa une corde autour de son cou, la serrant jusqu'à ce qu'Adeline soit immobilisée, la tête contre le siège. Elle se débattit, ses mains griffant la corde. Son amant, toujours silencieux, redémarra la voiture, comme si de rien n'était.

« On l'emmène, Alex là-bas ? » demanda Clara d'une voix calme.

« Oui. » répondit-il, en levant les yeux vers le rétroviseur.

Adeline jeta un regard suppliant vers Marc. Ou plutôt Alex. Elle voulait s'accrocher à l'espoir qu'il la sauve et ce constat amusait beaucoup le couple.

« Je sais que tu ne t'inquiètes pas pour lui mais ton fils va vivre avec ta mère. » murmura à son oreille. « Je lui ai fait comprendre que tu me l'as confié avec tous ses papiers avant de partir pour le Canada avec ton amoureux. »

Adeline sentit aussitôt l'espoir l'abandonner. Personne ne la rechercherait, alors elle cessa de lutter. La voiture se fondit dans la nuit, emportant Adeline vers une destination inconnue.

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