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Nouvelle Fantastique 1 – Les 54 Marches
Il se retourna surpris, pas seulement par le geste mais aussi par l'expression du chauffeur. Il agrippait sa main mais sans le regarder, dans la pénombre il crut voir ses lèvres qui semblaient se retrousser comme un chien prêt à mordre.

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Les nouvelles fantastiques sont des récits courts mêlant des thèmes comme la magie ou la sorcellerie, les fantômes, les créatures et les êtres liés à des religions passées ou actuelles. Nous faisons tout de même en sorte de garder nos textes accessibles pour un large public.

Arrivée tardive dans la ville

Le chauffeur de son taxi était bien trop occupé à lui raconter sa vie depuis quinze minutes pour se rendre compte que derrière lui, Léo lui jetait un regard sombre. Un regard dans lequel se lisait tous les jurons et toutes les malédictions du répertoire de sa grand mère. Et Dieu sait que cette femme avait un répertoire chargé.

Depuis qu'il l'avait récupéré à l'aéroport de Douala, cet homme n'avait pas cessé de l'abreuver d'histoires. Aucune transition, à moins de "Ah je ne vous ai pas dit.." Bah personne ne t'a demandé en fait. Il avait envie de lui dire de se taire mais il se retenait.

Léo, 28 ans, coincé dans ce voyage qu'il ne pouvait refuser, fatigué de ses heures de voyage depuis Paris et de multiples tracasseries. Il ne voulait pas savoir que la petite sœur d'une bonne amie du mari de sa nounou avait manqué son voyage à cause des sorciers qui l'avaient fait oublier le jour de son départ.

Il voulait encore moins savoir quels déboires financiers et sentimentaux submergeaient cet homme, dont il avait à peine entrevu le visage avant de se glisser dans l'habitacle. Il ne souhaitait qu'un repos salutaire qui n'arriverait visiblement pas avant une heure au moins.

Sur le badge accroché au rétroviseur, on pouvait à peine déchiffrer son nom à travers les tâches et les marques de vieillissement. Les longs doigts de l'homme caressaient le volant plus qu'ils ne le tenaient. Il maîtrisait son engin, et parlait à son client sans quitter des yeux la route.

Au bout de quarante minutes, Léo s'était habitué à sa voix et ses histoires étaient devenues comme un bruit de fond ; il sentait même ses yeux se fermer.

 « Nous sommes arrivés ! »

La voix du chauffeur résonna dans l'habitacle. Léo senti un léger frémissement le parcourir. Après l'avoir entendu parler avec entrain tout au long du voyage, il s'étonnait d'avoir droit à l'arrivée à un réveil sur un ton sec.

Il jeta un œil dehors pour vérifier la destination et pu lire avec satisfaction la plaque de la résidence hôtelière où on lui avait réservé un appartement. Il sortit avec sa seule valise et tendit la main au chauffeur pour le payer. Mais il fut retenu alors qu'il pensait s'éloigner.

Il se retourna surpris, d'abord par le geste puis, par l'expression du chauffeur. Ce dernier agrippait sa main mais sans le regarder. Dans la pénombre Léo voyait ses lèvres se retrousser comme un chien prêt à mordre. Le chauffeur était plus précautionneux tout à coup.

« - Mon fils, tu vas rester ici ?
«- Pourquoi, l'hôtel n'a pas bonne réputation ?
«- En vrai quand tu m'a donné ton adresse je ne savais même pas qu'il y avait... un bel hôtel comme ça dans cette zone. Ta famille ne peut pas t'héberger ? »

Léo fronça les sourcils. A 22h il ne voulait pas argumenter malgré le comportement infantilisant du chauffeur. Il préféra éluder la question.

Il se contenta de sourire en tirant sur sa main et l'homme le laissa partir. Le chauffeur resta là à le regarder monter les marches. Même lorsqu'une fois à l'intérieur il se tourna pour vérifier il vit que le taxi était toujours là. Finalement, le taxi démarra au bout de quelques minutes. Léo le remercia en pensée, après tout, le vieil homme voulait juste se rassurer qu'il allait bien.

A l'accueil, il eut le déplaisir d'apprendre par l'hôtesse que sa chambre était au 3e étage. Claustrophobe, il évitait de prendre l'ascenseur. C'est d'ailleurs pour cela qu'il se déplaçait avec un seul bagage. Il en avait prévenu son cousin qui n'en avait pas tenu compte. Mais là encore il ne servait à rien d'argumenter à cette heure.

Un autre employé de la résidence avec son uniforme sobre prit son bagage et monta avec lui les escaliers vers son appartement.

nouvelle fantastique 54 marches entree à la résidence

Illustration Winnie NDJOCK BEYEME

Epuisé, il marchait vers son appartement en comptant mentalement les marches. Cinquante-quatre marches qu'ils gravirent en quelques minutes avant de déboucher sur un couloir sobrement décoré. Une moquette sombre et épaisse, des murs couverts d'un papier peint avec un motif floral élégant ; le tout éclairé par des appliques murales modernes et design qui diffusaient une lueur tamisée.

L'employé le mena à sa chambre et lui présenta rapidement les lieux avant de partir sur "Passez un bon séjour", avant de refermer la lourde porte. L'appartement était tout aussi minimaliste que le couloir et parfaitement rangé. Un espace à l'image de la personnalité de Léo : ordonné et paisible.

Malgré la fatigue, il retira ses chaussures qu'il rangea dans un coin, retira ses vêtements pour se changer avant de s'allonger sur le lit. Il s'endormit presque aussitôt, avec pour seul rêve, un taxi qui s'en allait alors qu'il lui courrait après.

Les marches furtives

8h du matin.

Le soleil était depuis longtemps levé sur la ville quand le jeune homme émergea de son sommeil. La climatisation le protégeait de la chaleur étouffante qui régnait déjà au dehors. Toute le monde s'affairait sûrement à l'extérieur ; mais Léo, contrairement à ses habitudes restait là, allongé sur le dos, à observer chaque minuscule point et chaque craquelure sur le plafond blanc. Ses bras étendus de chaque côté de son corps élancé occupait pratiquement tout le lit. Il se rendit compte qu'il s'agrippait à son lit tout en fixant le plafond. Ses doigts étaient solidement enfoncés dans le matelas.

Sa respiration lourde commença peu à peu à se calmer. Il sentit la tension dans ses bras se relâcher tandis qu'il se relevait comme on essaie de s'extirper d'une mare de boue visqueuse et collante.

Il resta assis au bord de son lit pendant un moment avant de se rendre compte que l'alarme de son téléphone sonnait sur la table de chevet.

« Maman, Nalli, Papa. » Sa famille l'attendait.

Sa sœur Nalli devait se marier bientôt. Il devait absolument se rendre à la maison pour la voir, pour les voir. La fatigue du voyage ne serait pas une excuse suffisante auprès de ses parents et de sa sœur. « Je n'aurais qu'à dormir sur place s'il le faut. ». Sa motivation lui redonna de la force, assez pour réussir à se trainer hors du lit et se rendre dans la salle de bain.

Après une douche rapide, il s'habilla en tirant sur chaque mouvement comme un gosse qui sait qu'à la fin il y a un rendez-vous avec le dentiste. En descendant les escaliers son esprit se mit encore à compter machinalement.

Il descendit les 3 étages pour se rendre au rez-de-chaussée, son rythme lent n'était rythmé que par la litanie de chiffres prononcés à voix basse :

"Cinquante deux, cinquante trois, cinquante quatre, cinquante cinq, cinquante six"

Il était au rez-de-chaussée. Il sourit vers l'une des employés à la réception et quand celle-ci se retourna vers lui, Léo eu une pensée furtive "Il n'y avait pas 54 marches hier ?".

Soudain cette pensée fut balayée par la vision du visage métamorphosé de l'employée. Durant un bref instant, il avait changé et ce qu'il vit lui donna une nausée qu'il eut du mal à contenir.

" Quelque que chose ne va pas ?" ; la femme fit un pas vers lui. Elle affichait un large sourire, mais des yeux fixes, aucun pli, aucune ride n'accompagnaient cette expression,

"Tout va bien" répondit Léo de son plus beau poker face. "Je dois sortir, je risque passer la soirée dehors."

"Vous en êtes sûr ?"

L'employée lui parlait avec une voix douce et Léo remarqua qu'elle se trouvait désormais entre lui et la porte.

"Vous avez l'air fatigué monsieur. Asseyez-vous un instant et on vous appelle un Tango. C'est le service de voiturage le plus utilisé ici."

Léo se senti rassuré. La jeune femme avait juste remarqué son état de fatigue et elle souhaitait l'aider.

Il s'assit lourdement sur un des grands fauteuils du hall et ferma les yeux. Cette petite pause lui ferait du bien. Il devait prévenir sa mère de son arrivée, mais depuis qui avait atterrit il n'avait appelé personne. Il attrapa son téléphone dans sa veste et ouvrit les yeux. Les lumières étaient allumées dans un hall assombri.

Le malaise qui l'avait tenu agrippé à son lit le matin lui revint et il s'agrippa de nouveau, cette fois-ci à son fauteuil. En tournant la tête vers la porte d'entrée il crut défaillir.

Il faisait nuit. Le jeune homme était descendu vers 10h. Il vérifia l'horloge de son smartphone qui indiquait maintenant 20h10.

"Vous aviez l'air tellement épuisé que nous avons annulé la course pour vous laisser dormir."

Et encore ce sourire de façade, cette grimace qui donnait la nausée. Il aurait dormi 10h dans le hall avec la sensation d'un clignement de paupières ?

Léo jeta un coup d'œil aux deux autres employés à la réception et au gardien à la porte. Ils le fixaient tous, souriants. Il en avait envie de sortir, mais son instinct lui disait de remonter pour l'instant. Alors il se releva, et sans un mot prit les escaliers.

Arrivés à son étage il se figea.

"51 marches".

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