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Nouvelle Fantaisy : Tous crocs dehors
Des jumeaux chimères se trouvent bannis de leur cité après quelques excès. Ils doivent alors mener leur chasse ailleurs.

Les couloirs de pierre de la cité royale d’Arcania n’étaient plus qu’un souvenir estompé, noyé dans l’odeur humide de la terre et de la résine de pin. Kael et Lyra filaient entre les troncs centenaires. Leur forme hybride de Chimères-Crocs, n’était plus qu’une ombre furtive et agile dans la pénombre lunaire.

— J'en ai marre de cette forêt. maugréa Kael.

— On n'est pas encore assez proches des montagnes ; lui répondit sa sœur. Il faut qu'on les atteigne avant deux jours.

Pendant des mois, les nuits d’Arcania leur avaient appartenu. Ils avaient troqué l’ennui des règles de leur meute contre le frisson sauvage de la chasse en ville, se repaissant des fêtards ivres et des sans-abris oubliés. Tout aurait pu bien se passer pendant encore quelques mois, mais ils avaient manqué de chance.

Ils étaient tombés sur un noble venu s'encanailler dans les sous-quartiers. Cette mort là n'était pas passé inaperçu. Leur père, le chef de la meute, avait des gardes dans sa poche mais la disparition d'un noble mettait en péril toute la communauté.

« Allez dans les montagnes, au-delà du duché de GryneLand, leur avait-il ordonné, la voix rauque de déception. Vous y resterez le temps d’apprivoiser votre appétit. Vous ne vous nourrirez que du gibier des forêts. Vous apprendrez la patience. »

— Il nous a juste banni. Et pour aller bouffer quoi ? Des mimiques ou des conks* des montagnes ? La moue dégoûtée de Kael amusa Lyra.

— Et encore faut-il les attraper. Contrairement aux humains les créatures nous flairent à distance. Sans parler de celles qui nous chassent.

— A croire que le vieux essaie de nous faire tuer sans se salir les mains.

En entendant ces mots Lyra stoppa net sa course C'était une possibilité. Il était possible de survivre à la montagne mais uniquement dans les zones sûres des villages. Mais ceux-là disposaient de solides défenses contres les chimères. A moins de sérieusement se rationner pour ne pas se mettre en danger, il y avait de fortes chances d'y laisser leur fourrure.

Plus de jeu, il faudrait se battre sans cesse pour vivre. Lyra jura entre ses dents.

— Lyra, qu'est-ce que tu fais ?

— Rien. On reprend la route. De toute façon on n'a pas le choix. Qui sait on pourrait guetter le passage des aventuriers et des braconniers.

— Ils seraient trop contents de nous vendre en pièces détachées.

— Tu as peur ? se moqua-t-elle.

— Je préfère des combats gagnés d'avance.

Les jumeaux étaient sur la même longueur d'ondes sur ce point. A Arcania ils avaient été protégés, leur père était marchand et le principal intermédiaire de ceux qui voulaient engager les Maraudeurs des Terra. Leur demeure n'était pas l'égale des nobles mais elle était assurément la plus belle que possède un Chimère, quelle que soit sa catégorie. Pour la cité royale c'était le maximum à atteindre pour leur espèce. Pour espérer plus il fallait se rendre dans d'autres régions du royaume.

Les jumeaux avaient rompu la quiétude de cette vie dont leur père était si fier. Donc, il n'était pas sûr qu'il veuille les reprendre. Alors, ils pourquoi obéir à cet ordre d'exil ? Ils restaient là tous les deux à faire le point, sans dire un mot. Ils s'étaient arrêtés en haut d'une colline. Au nord, on apercevait les pics austères vers lesquels ils se dirigeaient.

Le versant est de la colline descendait vers une petit bois au centre duquel se trouvait une maison. Il n'y en avait pas d'autres à des kilomètres au moins. Kael et Lyra se trouvaient dans le duché de Gryneland. Ils devaient encore courir quelques centaines de kilomètres avant d'en sortir. C'est ce qui était prévu. Mais là, ils n'en avaient pas envie.

La grande demeure se dressait, silencieuse et orgueilleuse, ses fenêtres éclairées telles des yeux jaunes dans la nuit. Une cible facile, juste ce dont ils avaient besoin avant de se confronter aux montagnes.

Toc toc... c'est nous !

Les jumeaux avaient désormais le regard fixé vers la grande maison de bois. Ils ne ressentaient pas de grande agitation à l'intérieur. A pas feutrés, ils se rapprochèrent.

— On pourrait rester ici Lyra ; chuchota Kael, son souffle formant un nuage blanc dans l’air glacial.

— On ne peut pas rester mais on pourrait au moins prendre des forces... et des provisions.

Les yeux de félin de Lyra brillaient d’une excitation nerveuse. Quand il s'agissait de chasser c'est la faim qui l’emportait sur la raison.

Ils pénétrèrent dans le domaine sans un bruit, franchissant une clôture de pierre moussue comme si elle n’existait pas. Le silence qui régnait était épais, presque étrange. Aucun aboiement de chien, aucun murmure de serviteur, rien.

Ils n'eurent aucune difficulté à s'introduire dans la maison en coupant le verre de leurs griffes acérées. Ils entrèrent par la cuisine plongée dans l'obscurité. Les lumières aperçues dehors étaient celles des veilleuses. Tout le monde dormait.

Les jumeaux se séparèrent d’un regard complice, une routine rodée par des mois de chasse urbaine. Kael se dirigea vers l’étage, grimpant l'escaliers avec délicatesse. Lyra se glissa vers la salle de séjour, son corps souple se faufilant dans l’obscurité.

L’intérieur sentait le bois ciré, l’herbe séchée et une odeur plus forte, plus métallique : le sang. Mais c’était une odeur ancienne, infusée dans les murs, mêlée à quelque chose d’autre… de la cendre apparemment. probablement le foyer

Après avoir inspecté le salon pour vérifier la présence d'armes, Lyra déboucha sur un cabinet de travail étrange. Des pinces, des tenailles, des scies, ainsi que d'autres outils inconnus pendaient à des râteliers. Des cartes topographiques du duché étaient épinglées au mur, certaines zones cerclées de rouge. Des tableaux représentant des animaux sauvages la fixaient de leurs yeux peints. Et puis, il y avait la hache.

Accrochée au-dessus de la cheminée éteinte, elle était immense, sa lame incurvée polie pour briller même dans la pénombre. Des symboles complexes étaient gravés sur le métal, et Lyra y sentait cette même odeur de sang et de cendre, concentrée, vieille de plusieurs générations.

— Une arme qui a probablement servie à une ancienne guerre.

Un frisson parcourut son échine. Elle tendait de se rassurer mais, quelque chose clochait. A l'extérieur ils avaient sentit 4 personnes et elle était sûre qu'ils étaient actifs. Là, ils ne trouvaient personne mais l'odeur était présente. Sison frère avait mis la main sur la famille il l'aurait alerté.

Elle sentit la peur, pas celle des habitants, mais la sienne. C'est ce qu'elle sentait à l'approche de la maison. Elle n'avait pas réussit à le comprendre parce qu'elle était habituée à la sentir chez ses proies. La peur, celle qu'ils avaient pris comme un défi, un défi devant une proie supposée facile... non c'était un message d'alerte.

Mais ils manquaient d'expérience, ils n'avaient pas compris. Lyra se retourna brusquement pour aller chercher son frère à l'étage. Au moment où elle entra dans le salon, un bruit sec retentit. Au même instant, une lumière aveuglante embrasa la pièce.

Lyra gronda, se recroquevillant, ses yeux luttant pour s’adapter. Quand sa vision se clarifia, son souffle se bloqua dans sa gorge.

Ils étaient là. La famille. Ils ne dormaient pas. Ils les attendaient.

Le père se tenait au centre, une grande silhouette taillée à la serpe qui tenait non pas une arme, mais une simple lampe à huile. Un sourire tranquille, presque paternel, étirait ses lèvres. Il regardait Lyra avec un mélange de pitié et de reconnaissance.

À ses côtés, la mère. Son visage était empreint d’une joie pure et enfantine, ses doigts effleurant le manche d’un couteau à désosser glissé dans sa ceinture. Et les enfants… un garçon d'une quinzaine d'années à la carrure déjà robuste et une petite fille d'environ 10 ans. Ils brandissaient non pas des jouets, mais de courtes lances au fer luisant. Leurs yeux brillaient d’une excitation bien trop vive pour leur âge.

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Lyra jeta un regard affolé vers la fenêtre. Kael était là, plaqué contre la vitre, son visage déformé par une horreur incompréhensible. Il était attaché et suspendu a plafond. Comment avaient-ils réussi cela sans l'alerter ?

Le père parla enfin, d’une voix douce et grave qui glaça le sang de Lyra.

« Bienvenue à GryneLand, petits prédateurs. Nous n'espérions pas votre visite. Les créatures et les Chimères ne prennent plus le temps de passer par nos forêts. Nous n'avons pas eu de parties de chasse depuis des années. »

Le sourire du père s’élargit, révélant des dents très blanches.

« Vous allez enfin nous donner l’occasion de reprendre l’entraînement. Ce sera la première chasse de nos enfants. »

Lyra comprit alors, avec une terreur absolue et glaciale. Ils n’avaient pas traqué une proie. Ils s’étaient jetés d’eux-mêmes dans un piège. Les cartes, les armes, l’odeur de sang ancien… Cette famille ne vivait pas dans la peur des monstres. Elle les chassait. C'était la raison de sa peur à l'approche de la maison. Une vieille histoire de leur père. Une mise en garde quand ils les avait pressé d'éviter le duché de GryneLand. Les gardes forestiers, les descendants des soldats qui avaient autrefois combattu les chimères durant la grand guerre.

Dans les yeux de Kael se lisait une immense tristesse mais aussi un espoir muet. Mais Lyra savait qu'aucun espoir n'était permis. Ici, ils n’étaient pas les chasseurs.
Ils étaient le gibier.

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